lundi 1 novembre 2021

UN BILAN INTERMEDIAIRE DE LA RESORPTION DES BIDONVILLES

 

Un article de la Gazette des communes
suite au bilan présenté par la DIHAL*, 3 ans et demi après
la mise en place de la politique de résorption des bidonvilles

 

*DIHAL : Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement

 

La fin des bidonvilles, une ambition contrariée

La délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL) a présenté un bilan d’étape, trois ans et demi après la publication de l’instruction du 25 janvier 2018 qui affichait les ambitions d’un « changement de paradigme » dans la résorption des bidonvilles. Malgré des résultats louables, elle n’est pas toujours respectée sur le terrain.

Chiffres-clés

En mai 2021, il y avait 22 189 personnes vivant en bidonville, dont 12 342 ressortissants de l’Union européenne.

Entre 2019 et 2020 :

·      34 sites ont été résorbés sur les 439 sites recensés comptant plus de 10 occupants.

·      2536 personnes ont accédé à un logement

·      1798 ont trouvé un emploi

·      4556 enfants ont été scolarisés, grâce notamment au déploiement de 30 médiateurs scolaires.

L’instruction du 25 janvier 2018 sur la résorption des bidonvilles et des campements illicites se voulait révolutionnaire. Elle était co-construite avec les associations œuvrant auprès des personnes concernées et signée par 8 ministères : de l’Intérieur, de la Justice, de l’Europe et des Affaires étrangères, de la Cohésion des territoires, de l’Education nationale, des Solidarités et de la Santé, du Travail et du secrétariat d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes. En 2019, le budget annuel de cette politique publique a été porté de 4 à 8 millions d’euros.

 Une approche globale et multi-partenariale

Cette instruction prônait une démarche globale et partenariale portant en même temps sur l’accès aux droits (logement, soins, école, emploi), sur la protection de l’enfance, le droit des femmes, la lutte contre la délinquance et la traite d’êtres humains, ainsi que le respect de l’ordre public. Elle garantissait la sécurisation d’un site avant sa résorption, en recommandant d’y assurer l’accès à l’eau et à l’électricité, la prévention contre les incendies, la lutte contre les nuisibles. Elle préconisait d’associer les collectivités territoriales : les départements devaient se doter d'une stratégie territoriale de résorption des bidonvilles, les communes et les intercos (notamment les métropoles) devaient mobiliser les dispositifs de droit commun d’accès aux droits.

Des résultats encourageants

Trois ans et demi plus tard, 5 départements sur les 23 ayant reçu des financements de la DIHAL ont mis sur pied une telle stratégie. 34 sites ont été résorbés selon les préceptes de l’instruction, en réalisant un diagnostic social des besoins de personnes, en facilitant leur accès à l’emploi et au logement. Une trentaine de médiateurs scolaires ont été déployés dans 14 départements. « Nous saluons le recrutement de 30 médiateurs scolaires, qui faisaient partie de notre plaidoyer depuis des années », se réjouit Anthony Ikni, délégué général du Collectif national droits de l’homme (CNDH) Romeurope.

Un élan de solidarité lors du premier confinement

Il souligne les progrès qui ont été réalisés au début de la crise sanitaire. Les communes se sont mobilisées pour assurer l’accès à l’eau et à l’électricité : en juin 2020, près de 90% des habitants des bidonvilles avaient accès à l’eau (alors qu’en décembre 2018, seuls 72 des 224 sites renseignés sur la plateforme Résorption-bidonvilles étaient raccordés). L’Etat a distribué des tickets services aux personnes pour qu’elles puissent se procurer des denrées alimentaires et des produits d’hygiène. Les médiateurs scolaires ont accompagné les enfants dans leur scolarité en distantiel. « On avait peur de perdre le lien entre les bidonvilles et l’école, mais grâce aux médiateurs scolaires, on a évité la casse », souligne Anthony Ikni.

Les évacuations ont repris de plus belle

Mais depuis, l’enthousiasme est retombé comme un soufflé. Les évacuations se multiplient et ne répondent plus du tout aux exigences louables de l’instruction. « De nouveaux préfets sont arrivés. A Montpellier, le préfet évacue à tour de bras des sites stabilisés, avec des enfants scolarisés, avec des personnes en insertion professionnelle, au mépris de toutes les règles de l’instruction. A Lille, on observe un coup d’arrêt à la résorption. Les gens sont évacués sans aucun diagnostic social et projetés dans l’errance », détaille Anthony Ikni. S’il partage en partie le satisfécit de la DIHAL au niveau national, il constate que sur le terrain l’instruction n’est pas toujours respectée. « La situation reste à la main mise du préfet », résume-t-il.

Un défaut de fonctionnement interministériel

Selon le délégué général du CNDH Romeurope, il existe une dualité au niveau de l’Etat : d’un côté la politique du ministère du Logement, qui investit des moyens pour l’intégration des personnes, et de l’autre, celle du ministère de l’Intérieur tournée vers la répression. « Une telle politique n’a pas de sens car l’argent dépensé d’un côté est gaspillé de l’autre », observe-t-il. La dimension interministérielle de la démarche n’est pas à la hauteur des enjeux. « L’instruction n’est pas assez contraignante juridiquement. Il manque un cadre législatif qui permet de traverser le quinquennat. Nous sommes inquiets sur le pilotage de cette politique publique par la suite », conclut Anthony Ikni.