UN
BILAN INTERMEDIAIRE DE LA RESORPTION DES BIDONVILLES
Un article de la Gazette des
communes
suite au bilan présenté par la DIHAL*, 3 ans et demi après
la mise en place de la politique de résorption des bidonvilles
*DIHAL : Délégation interministérielle à l’hébergement
et à l’accès au logement
La fin des
bidonvilles, une ambition contrariée
La délégation interministérielle à
l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL) a présenté un bilan d’étape,
trois ans et demi après la publication de l’instruction du 25 janvier 2018 qui
affichait les ambitions d’un « changement de paradigme » dans la résorption
des bidonvilles. Malgré des résultats louables, elle n’est pas toujours
respectée sur le terrain.
Chiffres-clés
En mai 2021, il y avait 22 189
personnes vivant en bidonville, dont 12 342 ressortissants de l’Union
européenne.
Entre 2019 et 2020 :
·
34 sites ont
été résorbés sur les 439 sites recensés comptant plus de 10 occupants.
·
2536
personnes ont accédé à un logement
·
1798 ont
trouvé un emploi
·
4556 enfants
ont été scolarisés, grâce notamment au déploiement de 30 médiateurs scolaires.
L’instruction du 25 janvier 2018 sur
la résorption des bidonvilles et des campements illicites se voulait
révolutionnaire. Elle était co-construite avec les associations œuvrant auprès
des personnes concernées et signée par 8 ministères : de l’Intérieur, de
la Justice, de l’Europe et des Affaires étrangères, de la Cohésion des
territoires, de l’Education nationale, des Solidarités et de la Santé, du
Travail et du secrétariat d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes. En
2019, le budget annuel de cette politique publique a été porté de 4 à 8
millions d’euros.
Une
approche globale et multi-partenariale
Cette instruction prônait une
démarche globale et partenariale portant en même temps sur l’accès aux droits
(logement, soins, école, emploi), sur la protection de l’enfance, le droit des
femmes, la lutte contre la délinquance et la traite d’êtres humains, ainsi que
le respect de l’ordre public. Elle garantissait la sécurisation d’un site avant
sa résorption, en recommandant d’y assurer l’accès à l’eau et à l’électricité,
la prévention contre les incendies, la lutte contre les nuisibles. Elle
préconisait d’associer les collectivités territoriales : les départements
devaient se doter d'une stratégie territoriale de résorption des bidonvilles,
les communes et les intercos (notamment les métropoles) devaient mobiliser les
dispositifs de droit commun d’accès aux droits.
Des
résultats encourageants
Trois ans et demi plus tard, 5
départements sur les 23 ayant reçu des financements de la DIHAL ont mis sur
pied une telle stratégie. 34 sites ont été résorbés selon les préceptes de
l’instruction, en réalisant un diagnostic social des besoins de personnes, en
facilitant leur accès à l’emploi et au logement. Une trentaine de médiateurs
scolaires ont été déployés dans 14 départements. « Nous saluons le recrutement de 30 médiateurs scolaires, qui
faisaient partie de notre plaidoyer depuis des années », se
réjouit Anthony Ikni, délégué général du Collectif national droits de l’homme
(CNDH) Romeurope.
Un élan
de solidarité lors du premier confinement
Il souligne les progrès qui ont été
réalisés au début de la crise sanitaire. Les communes se sont mobilisées pour
assurer l’accès à l’eau et à l’électricité : en juin 2020, près de 90% des
habitants des bidonvilles avaient accès à l’eau (alors qu’en décembre 2018,
seuls 72 des 224 sites renseignés sur la plateforme
Résorption-bidonvilles étaient raccordés). L’Etat a distribué
des tickets services aux personnes pour qu’elles puissent se procurer des
denrées alimentaires et des produits d’hygiène. Les médiateurs scolaires ont
accompagné les enfants dans leur scolarité en distantiel. « On avait peur de perdre le lien entre les bidonvilles et l’école,
mais grâce aux médiateurs scolaires, on a évité la casse »,
souligne Anthony Ikni.
Les
évacuations ont repris de plus belle
Mais depuis, l’enthousiasme est
retombé comme un soufflé. Les évacuations se multiplient et ne répondent plus
du tout aux exigences louables de l’instruction. « De nouveaux préfets sont arrivés. A Montpellier, le préfet évacue
à tour de bras des sites stabilisés, avec des enfants scolarisés, avec des
personnes en insertion professionnelle, au mépris de toutes les règles de
l’instruction. A Lille, on observe un coup d’arrêt à la résorption. Les
gens sont évacués sans aucun diagnostic social et projetés dans l’errance »,
détaille Anthony Ikni. S’il partage en partie le satisfécit de la DIHAL au
niveau national, il constate que sur le terrain l’instruction n’est pas toujours
respectée. « La situation reste à la main mise du préfet »,
résume-t-il.
Un
défaut de fonctionnement interministériel
Selon le délégué général du CNDH
Romeurope, il existe une dualité au niveau de l’Etat : d’un côté la
politique du ministère du Logement, qui investit des moyens pour l’intégration
des personnes, et de l’autre, celle du ministère de l’Intérieur tournée vers la
répression. « Une telle politique n’a pas de sens car
l’argent dépensé d’un côté est gaspillé de l’autre »,
observe-t-il. La dimension interministérielle de la démarche n’est pas à la
hauteur des enjeux. « L’instruction n’est pas assez
contraignante juridiquement. Il manque un cadre législatif qui permet de
traverser le quinquennat. Nous sommes inquiets sur le pilotage de cette
politique publique par la suite », conclut Anthony Ikni.